FrenchMasks.SGDG

BHN9
15/30 septembre 2021

Le Bazar de l'hôpital Saint Jean de Dieu, Lyon

FrenchMasks.SGDG

Des masques en cornichons

Les germes des masques sont arrivés dans cette pénurie d'invention, dans cet enferment intérieur, dans cette mise à résidence, enfermé dans le silence du monde humain. Bien plus que n'importe quelle revendication politique, ils ont été des signes de bonnes santé, la création d'un personnage, chevelu, hirsute, effrayé, halluciné, clown, portant sur lui ce que les mots et les gestes imposaient à tous. Des barrières, des protections, des frontières, des rites chamaniques. Une herbe à brûler pour se protéger. Une pince pour arracher une mauvaise tumeur. Une racine pour retrouver les siennes. Un filtre à air pour expirer un air plus pur. Toutes ces tentatives de survie, enregistrées durant une année, constituent deux cent autoportraits, symptômes endémiques, de cette inutilité ressentie dont nous avons été désigné. Artiste, nous ne sommes jamais devenus adultes, sans doute, heureusement, mais non plus que rarement acceptés, et toujours, désignés comme faibles, infantilisés, improductifs : « Cherche un vrai travail ! » Plutôt mourir.

Alors, des papiers sont sortis de machines avec ces faces en noir et blanc. Joliment, naïvement, ils ont pris l'eau et des teintes fleuries à l'aquarelle. D'autres sont apparues sur des tirages photographiques lambdas, grattés et tachés d'encre de Chine. Ils ont été scotchés, tels des annonces pour chien perdu, ou un boulot particulier, sur des panneaux de contreplaqué. Enfin, j'ai imprimé quelques-uns de ces autoportraits défigurés sur du papier affiche, des dos bleus. Collés sur de grands cartons d'emballage de bicyclette, repris à l'encre de Chine, ils sont devenus des grandes pièces, des faces de géants.

Et tandis que les expositions de novembre étaient à nouveau fermées pour un temps indéterminé, tandis que la vie en commun était à nouveau confinée, confisquée, tandis que seuls les travailleurs dits « de première nécessité » étaient autorisés à exercer leur fonction sociale et certains à produire de la valeur marchande économique, tandis qu’une autre vie primordiale, primaire, était condamnée à ne survivre que numérisée, je suis sorti coller ces œuvres sur les murs de la ville dans les rues de l'hiver 20-21. Il fallait écrire l'histoire, comme on écrivait la vie sur les parois des cavernes, dans les lieux publics. Chacun des murs choisis porte une histoire, par le nom de sa rue, par une plaque commémorative, par la proximité avec un autre instant historique. Ils sont des liens avec la vie, dans un jardin dédié à une écrivaine féministe, sur la place de la Réunion, sur la vitrine d'une ancienne pharmacie, sous la plaque à la mémoire d'un résistant tombé, sur un bâtiment de secours de la Protection Civile, aux abords d'un lieu de culte, d'une faculté… Les apparitions ne laissent certainement pas de place au hasard.

Voilà que ces masques verts, ouverts, collés, portés, arrachés, ont trouvé un de leurs supports les plus prestigieux, les murs urbains. Car enfin, oui, ils sont fragiles. L'art est fragile, nous sommes fragiles, tout le vivant est fragile. Certains portraits ont à peine tenu quelques heures, quelques minutes, arrachés ou déchirés par un riverain, un commerçant questionné, gêné par le regard du personnage hirsute ainsi accroché, choqué de l'image envoyée sur un passage, devant une vitrine. D'autres n'ont pas été acceptées par les murs sur lesquels ils étaient apparus, ils ont glissés, seuls, sur un trottoir ; j'en ai récupéré. D'autres ont eu une vie plus longue, seulement nettoyés par des services municipaux et pour certains ce n'est que l'usure du temps et les intempéries qui les ont peu à peu détruits ou qui les altèrent et les vieillissent encore.

Tâter de la réalité

Les FrenchMasks.SGDG ont été activés et enregistrés durant douze mois dans un processus de création avec une mise en scène organisée et répétée. Comme tout masque, ils extrapolent une réalité, dans une plaisanterie, afin de proposer une protection magique contre une maladie ou contre une folie, contre une pensée ou contre un être effrayant. Ils racontent aussi une histoire matérielle. Celle des objets collectés et apposés, ficelés, sur la bouche et le nez du porteur. Ces objets sont le plus souvent des outils, des aliments nécessaires et utiles, indispensables, au quotidien humain, parfois aussi des déchets plus immortels que nous, tels les emballages plastiques. Il y a aussi des objets de confort ou de soins médicaux. Tous ont été choisis et utilisés comme des ustensiles symboliques de notre réalité contemporaine. Ils décrivent souvent un questionnement quant à une frugalité de vie que je m'impose et, même si parfois j'y fais encore entorse, démontrent une sobriété low-tech à laquelle j'aspire. Une aspiration autant dans le quotidien de la vie de l'atelier, que dans les interrogations sur les moyens de production, les outils et les œuvres.

Cette série scrute bien sûr le virus invisible, puisque tout à commencé à partir de cette situation explosive et imposée par sa propagation rapide et globale, mais elle tâte aussi de cette réalité absurde et des contraintes générales qui gouvernent nos relations sociales. Enfermés, invisibles aux autres, sinon par nos écrans et par les selfies vidéo que nous partageons en travelling optique. Qui sommes-nous vraiment ? Quelle est cette figure, de qui en est-elle le portrait ? Elle se moque clairement, avec ironie, parodie et bouffonnerie. C'est le personnage même du théâtre. Il interpelle, il choque. On ne peut s'en prendre au mépris que l'auteur pourrait inspirer sur telle ou telle caste de la population, puisqu'il est lui-même le sujet de cette intrigue. Alors, tous ces collages de cornichons et de feuilles de bananier sur ces murs, rue de la Liberté ou entre le pont de l'Alma et le Centre Culturel Russe de Paris, sont-ils des miroirs de quelques contemporains alentours, ou des portraits transpirants d'une société malade ?

Guillaume Dimanche


FrenchMasks : Masques français
SGDG : Sans Garantie Du Gouvernement, « aux risques et périls des demandeurs ». Mention légale (apparue en 1844, supprimée en 1968) dégageant l'État de toute responsabilité sur le bon fonctionnement du dispositif.


FrenchMask.SGDG

P12_5018
Tirage Baryta Canson 340g collé sur Dibond
40 x 30 cm


FrenchMask.SGDG

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All Photographs 2021 © ADAGP - Guillaume Dimanche